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La réalisatrice qui venait du froid

Interview Kjersti Steinsbø (Hevn)

Disponible à partir du 8 décembre, Hevn est un thriller qui ne laisse pas indifférent. Un "revenge movie" féminin à la sauce norvégienne tout en contraste, entre beauté des paysages et noirceur des âmes. On a rencontré sa réalisatrice, Kjersti Steinsbø pour qu'elle revienne en détails sur la genèse du film.

Quand on voit la liste des réalisateurs norvégiens reconnus à l’international, il n’y aucune femme. Est-ce que la Norvège est macho dans ce domaine ?

C’est vrai qu’il n’y pas beaucoup de cinéastes femmes. Mais c’est aussi le cas dans bon nombre de pays dans le monde. Pour Revenge, on a quand même bien rééquilibré la donne : tous les postes phares du film sont tenus par des femmes : productrice, directrice de la photo, actrice principale, réalisatrice et scénariste. A tel point qu’à un moment, on a fait une réunion pour se dire qu’on aurait bien besoin de testicules dans l’aventure (rires).  Mais c’est vrai que c’était une situation bien différente de ce que l’on peut rencontrer d’habitude sur un plateau de cinéma.

 

Interview Kjersti Steinsbø (réalisatrice de Hevn- Revenge)

 

Était-ce un choix intentionnel d’avoir recours à des femmes pour ces différents postes ?

Non, c’est tout simplement parce que j’ai l’habitude de travailler avec ces personnes. La productrice, Kristine Knudsen, je la connais depuis plus de 20 ans. On a toujours voulu travailler ensemble. Quant à Anna Myking, elle a éclairé mes deux précédents courts-métrages.  En 2011, elle fut la première femme à être directeur de la photographie sur un long-métrage norvégien. Il s’agissait d’Happy happy d’Anne Sewitsky. Je voulais juste travailler avec des gens que j’aime et qui sont bons dans leur domaine. Il s’avère qu’ils ont des seins et un vagin (rires).

 

Comment est né Revenge ? Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?

Le film se base sur un livre écrit par un des romanciers norvégiens les plus connus. C’est la première fois que son personnage principal est une femme. Kristine a lu le roman il y a quelques années. Elle a aimé et me l’a fait parvenir pour savoir si je voulais bien l’adapter pour le cinéma. J’ai refusé dans un premier temps. J’ai trouvé le livre trop noir, trop dramatique. J’ai décliné également, car je pensais que mon premier film serait un film de science-fiction à petit budget ou une comédie noire. Quelque chose qui soit plus proche de ce que j’aime et connais. Je regarde tout genre de films. Mais c’est vrai que j’ai vraiment découvert le cinéma quand mon père m’a emmené voir Star wars, E.T. et Retour vers le futur. Pour ma génération, ce sont ces films qui ont permis de prendre conscience que l’on pouvait créer des univers de toutes pièces. C’est pour ça que j’avais peur de dire oui à Kristine. Je trouvais le sujet trop mélodramatique. Pourtant, je n’ai pas réussi à oublier le roman. Notamment parce que j’avais des sentiments confus envers l’héroïne. En lisant le roman, je l’appréciais tout autant que je ne l’aimais pas. J’adore quand un personnage joue ainsi avec mes émotions. Où il m’est impossible de placer le curseur sur sa personnalité. Son ambivalence me séduisait énormément. L’histoire écrite par Ingvar Ambjørnsen était tout sauf manichéenne.

Un autre attrait du livre vient du fait qu’il décrit une petite communauté. Venant moi-même d’une île, j’ai pu facilement m’identifier à cet univers. Le fait que tout le monde se connait mais qu’il y a quand même énormément de secrets entre les gens.

 

 

L’actualité (les affaires d'harcèlements sexuels qui se multiplient à Hollywood) donne une sacré résonance à votre film.

Effectivement. Mon film et les situations révélées ces derniers temps montrent ce qui peut arriver quand les hommes abusent de leurs pouvoirs pour arriver à leurs fins. C’est un sujet très important et c’est sans doute pour toutes ces raisons évoquées que je suis finalement revenue sur ma décision et j’ai accepté d’écrire le scénario. Ce ne fut pas facile tant je sortais de ma zone de confort. Cela devenait même effrayant. De plus, j’avais un tel respect pour Ingvar Ambjørnsen qu’il a été difficile de faire des changements au départ. Mais il nous a toujours soutenus et même encouragés à apporter les changements que nous jugions nécessaires pour une adaptation cinématographique. C’est le danger de toute adaptation : vouloir en faire quelque chose de personnel, mais sans jamais trahir les intentions de l’auteur.

 

Votre film a beau être basé sur une histoire de revanche, on ne peut pas dire pour autant que l’héroïne a un plan établi pour parvenir à ses fins. Cela contraste avec ce que l’on peut voir d’ordinaire dans des films de revanche.

Elle est effectivement très mauvaise dans ce domaine. En fait, elle n’a aucun plan. Elle a juste cette envie de revanche en elle. Mais quand elle arrive sur place, elle se met en mode observation. Et c’est en observant sa cible et son entourage, qu’elle commence à avoir des idées et un plan pour accomplir sa revanche. Siren Jørgensen, qui interprète Rebekka, est une de mes amies les plus proches. Elle apporte justement cette ambivalence et a un côté androgyne. Elle peut être à la fois très féminine et séductrice et puis faire rejaillir son côté froid et masculin. J’ai vraiment aimé la manière dont elle est parvenue à jouer les deux parts du personnage.

 

 

Vous parliez des difficultés d’adaptation et le fait de rester fidèle au roman. Quels ont été les principaux changements que vous avez dû faire pour le film ?

Le plus gros changement vient de l’âge des personnages lorsque le viol intervient. Dans le roman, les deux sœurs sont dans leur quarantaine et leur trentaine. Ce sont donc des adultes alors que dans le film la jeune sœur n’a que 14 ans. De plus, l’incident s’est déroulé seulement 5 ans auparavant.

Je voulais le placer plus loin dans le temps, vingt ans auparavant pour montrer à quel point un tel incident peut influencer la vie des différents protagonistes. Je trouvais également que le fait de placer les événements à un âge où l’on n’est pas encore un adulte rendait la situation encore plus forte. C’est évidemment aussi le cas quand on a 35 ans ou quel que soit son âge.  Mais à 13-14 ans, vous n’avez pas encore vraiment connu la sexualité, les garçons commencent à vous intéresser et le fait d’être confronté à une telle situation s’avère des plus traumatisants.

Ce que j’ai beaucoup aimé dans le livre et que j’ai voulu absolument garder dans le film, c’est ce côté western, ce cow-boy qui arrive dans la petite ville, règle son différend et repart au coucher du soleil. Comme dans le roman, Rebekka repart avec aucun sang sur les mains.

 

Le fait de faire de l’assaillant un pédophile, cela donne encore plus envie de le haïr ?

Je voulais créer le doute dans l’esprit des gens. Il a 18 ans à l’époque. La sœur en a 14 et elle est attirée par lui. Etait-ce si horrible que ça ? Je laisse ainsi le spectateur se poser la question. Une partie du public est d’ailleurs favorable pour excuser l’homme en évoquant qu’il était jeune et que cela faisait plus de 20 ans que les faits ont eu lieu. C’est une question morale que je pose. Et ce n’est pas parce qu’ils sont jeunes et bourrés que tout ceci peut être excusé. Il s’agit là d’un abus de pouvoir. Mais, clairement, en rajeunissant les personnages, j’ai introduit une zone grise plus ambivalente et qui peut prêter à débat quand on oublie le principe de base et essentiel qui est que Non, c’est non !

 

 

Vous devez apprécier l’œuvre de William Friedkin qui est passé maître dans l’art de mettre en scène des personnages sans cesse sur le fil du rasoir.

Bien sûr. Rien n’est simple dans la vie. Ce n’est jamais uniquement noir ou blanc. J’aime les films qui font naître des opinions diverses, où l’on peut débattre à la fin. On consomme tellement de films et séries aujourd’hui, moi, la première qu’il est important de temps en temps de se retrouver face à un ou des films qui vous permettent de réfléchir à quelque chose avant d’enchaîner avec un autre film ou épisode.

 

Votre film est visuellement magnifique. Mais n’est-ce pas facile étant donné la beauté de vos paysages norvégiens ?

Lorsqu’on est arrivé sur les lieux du tournage, ma directrice de la photographie a dit que même sa mère pourrait réussir à rendre ce film beau. Mais évidemment, c’est un peu plus compliqué que ça. Les premiers jours du tournage, c’était tellement incroyable, on avait l’impression d’être face à l’été indien et on se demandait si on n’était pas en train de filmer une pub pour le chocolat. C’était si beau, si propre, si nette. Alors que je voulais quelque chose de sombre. Heureusement le temps a changé et c’est justement au moment où l’on tournait les séquences dans l’hôtel que tout est devenu plus ombrageux. Mais c’est la nature même des fjords d’avoir un tel changement de climat. Cela peut vite devenir étouffant. On a habité dans l’hôtel durant toute la durée du tournage. Je serai devenue folle si je devais vivre là-bas constamment. 

Pour revenir à la composition des plans,  j’aime jouer avec les ombres et lumières. David Lynch sait superbement le faire. Je trouve toujours fascinant de voir un personnage sortir de la pénombre.

 

Votre film est relativement soft. Tout est suggéré et pourtant vous nous imposez une séquence de nudité masculine frontale particulièrement explicite. Au point que certains spectateurs pourraient être choqués.

Mon intention était de ne montrer aucune nudité féminine. Seule celle de l’homme m’intéressait. J’ai insisté pour que les seules parties génitales que l’on verrait à l’écran soient celles du violeur. Il n’y a aucune scène de sexe. Et dans la seule séquence où l’on pourrait voir le corps d’une femme, je le cache volontairement.

 

Le fait de choisir une jeune fille très sexuée pour le rôle de la fille du copain, renforce ce côté trouble que vous semblez vouloir toujours créer dans votre film.

Tout à fait. C’est le genre de réaction que je recherche. J’ai voulu placer le curseur juste à l’endroit où cela peut être ambivalent. Mais oui, elle n’a que 16 ans, c’est la fille de son meilleur ami, il la connait depuis toujours. Ce n’est absolument pas ok de faire quoique ce soit avec elle. Mais effectivement, j’ai trouvé que cela était plus intéressant de jouer avec ces questions morales plutôt que de mettre en scène une fille de 11 ans qui ressemble à un enfant. Aucun débat ne pourrait être possible.

 

Jusqu’à cette séquence où il convoite la fille de son ami, on pourrait éventuellement excuser l’homme, en estimant que c’est une erreur de jeunesse, qu’il a conscience de ce qu’il a fait et que depuis 20 ans il a une existence au-dessus de tout soupçon. Mais en choisissant de le montrer de nouveau en prédateur, vous le condamnez définitivement. C’est un homme malade qui doit être arrêté.

Dans le roman, cela était suggéré qu’il a eu ce genre de comportements de nombreuses fois. Mais c’était avec des femmes de son âge.

Mais, à ce moment, j’ai voulu aussi que l’on questionne la moralité de Rebekka. Elle lui met une carotte devant le nez. C’est elle qui le provoque en lui tendant un piège. Je suggère qu’il est aussi possible que si elle ne l’avait pas tenté, il serait un bon mari et un bon père de famille.  Encore une fois, je cherche à créer la réflexion afin que le spectateur se fasse sa propre opinion.

 

Concernant la fin de votre film, avez-vous envisagé une autre issue, une qui aurait vu Rebekka aller plus loin dans sa vengeance ?

Cela aurait été trop simple. Qu’elle lui coupe la bite par exemple ? En fait, j’ai repris une phrase de Rebekka tirée du roman : « le tuer aurait été trop facile, je voulais lui prendre tout ce qu’il avait : sa maison, sa famille, ses biens ». Pour être honnête, j’ai longtemps hésité à ce que Rebekka finisse par lui couper le sexe. Mais, après réflexion, le risque aurait été que le public parle du film en des termes « oh tu as vu le film où elle lui coupe la bite à la fin ». Et puis, le film ne se finit pas là-dessus. On ne sait pas ce qui se passe quand le docteur et l’ami entrent dans la pièce. On ne sait pas ce qu’ils ont décidé de faire. Par contre, on sait qu’il ne sera plus jamais le même et qu’il n’aura plus jamais le même statut au sein du village. Pour moi, cela suffit, je n’ai pas besoin qu’il soit émasculé. Sa vie va être horrible après ça. Mon film n’est pas un « rape & revenge movie ».

Vous pourriez dire que je suis quelqu’un d’optimiste. C’est vrai que j’aime les fins heureuses au cinéma. Peut-être que cela m’a influencé ici. L’histoire est tragique et je n’avais pas envie par exemple qu’elle se suicide à la fin. Cela aurait pu être une fin possible. Elle a eu ce qu’elle voulait et désormais elle n’a plus rien à attendre de la vie. Mais, si en sortant de la salle, j’ai réussi à ce qu'une partie des spectateurs se demande ce qui va bien pouvoir arriver à ses deux personnages, le fait qu’ils puissent en discuter et y penser un peu après la projection me rend heureuse.

 

 

De quelle manière le film a-t-il été reçu dans votre pays ?

Les avis ont divergé. Certains l’ont énormément apprécié, d’autres l’ont rejeté. Mais, dans tous les cas, le film n’a jamais laissé indifférent. Les réactions lors des projections ont toujours été vives. J’ai eu beaucoup de gens qui m’ont dit ou écrit que l’histoire les avait touchés car ils connaissaient quelqu’un ou un proche de leurs proches qui avait été touché par ce genre de tragédie. Je pense aussi que certains spectateurs ont été déçus parce qu’ils s’attendaient plus à voir un thriller, presque un film d’horreur. Sans doute à cause de l’affiche ou de la bande-annonce. Mais ça, ce n’était pas de mon ressort. Le metteur en scène a certains pouvoirs, mais pas dans ce domaine.

 

Il y a désormais de nombreux réalisateurs norvégiens qui sont partis faire des films à Hollywood (Roar Uthaug qui vient de finir Tomb Raider, Morten Tyldum qui a réalisé Imitation game ou encore le duo Joachim Rønning/ Espen Sandberg auteurs du dernier Pirates des Caraïbes). Est-ce quelque chose qui pourrait vous tenter ?

De manière classique, cela dépend du projet que l’on me soumet. Mais ces derniers temps, je ne reçois que des scénarios de films d’horreur, surtout des films qui tournent autour d’exorcismes. Mais oui, je rêve de recevoir un script magnifique. J’aimerais beaucoup pouvoir réaliser un film que je n’ai pas écrit.

Mais c’est vrai que les réalisateurs scandinaves ont la côte en ce moment à Hollywood. La Suède et le Danemark ont joué au grand frère et grande sœur pour nous. Cela fait longtemps qu’ils parviennent à faire des bons films et de bonnes séries. En Norvège, c’est plus récent. Peut-être aussi parce que cela ne fait pas si longtemps que l’on a une école de cinéma. Mais désormais, cela semble être notre tour à Hollywood. On a aussi une bonne réputation, car nous sommes un peuple très terre-à-terre et très poli (rire).

 

 

Que pensez-vous de l’exploitation de votre en France en e-cinema ? Quel est votre ressenti face à cette nouvelle façon de consommer des films ?

Pour être honnête, je ne vais que très rarement au cinéma. J’ai un peu honte de ça, mais je suis devenue une de ces personnes qui s’allonge dans son canapé devant une grande télévision tout en mangeant et buvant. Je fais tout cela à mon rythme et je n’ai pas besoin d’entendre des gens parler derrière moi. Désormais, mes plus grandes expériences cinématographiques viennent quand je suis installée dans mon canapé.  Avec un bon écran et un système sonore adéquat, vous pouvez retrouver une grande partie des sensations de la salle de cinéma. Mais, bien sûr, la comparaison s’arrête là, car vivre un film dans une salle, cela reste l’ultime expérience. Pour autant, en tant que réalisatrice, j’ai le désir que le plus de gens possibles puisse voir mon film. Et dans ce contexte, il est impossible de ne pas reconnaître que le futur se trouve en ligne. J’ai hâte de voir ce qui va se passer dans 5 ou 10 ans. Je rêve de pouvoir acheter un film en ligne le même jour que sa sortie aux Etats-Unis ou en France. Je pourrai payer beaucoup d’argent pour avoir accès à cette possibilité. Cela me permettrait de ne pas attendre sa sortie éventuelle chez nous. Comme en plus, c’est de plus en plus dur de voir ses films sortir en salles aujourd’hui. Sauf bien sûr si vous faites un film de super-héros !

 

hevn (revenge) afficheCliquez sur l'affiche pour voir le film

 

Publié le 08/12/2017 par Laurent Pécha

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